Interview – Dominique Delforge-Struyf, pédopsychiatre : « La foi, c’est la confiance. J’ai choisi la confiance »

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Dominique Delforge-Struyf, pédopsychiatre, a découvert Medjugorje à travers une expérience très personnelle mais aussi à travers son métier qui lui donne la possibilité d’observer et de discerner. Elle a travaillé pendant 17 ans dans un hôpital psychiatrique en Belgique, dont elle a assumé la direction médicale pendant dix ans. Depuis quatre ans, elle travaille comme psychothérapeute en privé, et comme professeur de psychologie religieuse. En avril 2003, elle est venue une nouvelle fois en pèlerinage à Medjugorje.

Dans un entretien avec Lidija Paris, elle nous a dit comment elle voit Medjugorje et nous a livré des éléments de son expérience spirituelle personnelle.

Lidija Paris : Dominique, vous avez découvert Medjugorje à travers une expérience très personnelle mais aussi à travers votre métier qui vous donne la possibilité d’observer, de discerner, de desceller les choses. Vous êtes une croyante et professionnelle qui pose un regard sur Medjugorje. Qui êtes-vous, Dominique Delforge-Struyf ?

Dominique Delforge-Struyf : Je suis psychiatre, essentiellement pour enfants et adolescents, j’ai travaillé pendant 17 ans dans un hôpital psychiatrique pour enfants et adolescents en Belgique, dont j’ai assumé la direction médicale pendant dix ans. Depuis quatre ans, je travaille surtout comme psychothérapeute en privé, où je vois des enfants, des adolescents, des adultes aussi, des couples, des familles… J’ai une formation de psychanalyste d’enfants et une formation en thérapie familiale.

Depuis quatre ans aussi, j’ai la chance de pouvoir travailler comme professeur de psychologie religieuse et je me suis beaucoup intéressée à tout ce qui est représentations de Dieu chez l’enfant, comment elles se construisent dans leur développement à partir de leurs angoisses, de leurs mécanismes de défense, comment elles peuvent à certains moments être une défense contre l’angoisse, mais aussi à certains moments une barrière dans un chemin de foi et de confiance humaine et dans la vie. Ce qui m’intéresse beaucoup, c’est de chercher en psychothérapie comment ouvrir des portes et comment dénouer des choses à la fois sur un plan psychologique, mais aussi dans toutes ces difficultés de foi dans la vie, dans les autres et en Dieu.

Je suis aussi mariée, mère de famille. Nous avons quatre enfants à nous et une grande fille adoptive qui est mariée, qui a déjà deux petits enfants.

Comment avez-vous découvert Medjugorje ? D’où vient cet intérêt ?

Dominique Delforge-Struyf : C’est une histoire très, très personnelle. Elle n’a rien à avoir avec mon métier. En 1988, j’ai passé quelques jours de vacances à la Mer du Nord avec mes enfants, j’allais bientôt accoucher de mon troisième enfant et j’avais acheté deux revues de détente à lire sur la plage en regardant mes enfants jouer. Parmi ces revues, il y avait la revue Marie-Claire, une revue assez légère à lire au soleil, et dans cette revue, j’ai trouvé un article sur Medjugorje. Cela m’a interpellée, je l’ai lu, et cet article m’a touchée et étonnée parce que la journaliste manifestement était venue à Medjugorje par curiosité uniquement, je pense, et elle avait été profondément bouleversée, notamment par ses rencontres avec les voyants et par la façon dont ils témoignaient de cette phrase de la Vierge : « Si vous saviez comme je vous aime vous pleureriez de joie ». Alors, cela m’a interpellée et en rentrant à Bruxelles j’ai acheté un livre du père Laurentin sur les apparitions.

J’ai lu, cela est resté dans ma mémoire, sans plus. Mais quand j’allaitais mon petit troisième, je me suis trouvée enceinte d’un quatrième enfant, ce qui n’était pas prévu au programme, parce que je devais reprendre mon travail. C’était une période extrêmement stressante au niveau du travail et, très vite, je suis tombée malade assez gravement. A sept mois de grossesse, j’ai fait un décollement du placenta. Je commençais à saigner comme un robinet ouvert, j’étais dans une angoisse terrible parce que je me sentais vraiment mourir. En tant que médecin, je savais très bien que mon enfant était en danger de mort extrêmement grave. Ma mère est arrivée très, très vite. Aux portes de la mort, on a beau être universitaire, scientifique, tout ce qu’on veut… on se trouve vraiment comme un petit enfant. J’ai dit : « Maman, est-ce que mon enfant vit ? » Elle m’a dit : « Oui, mets-toi dans les bras de la Vierge. »

J’ai vécu, à ce moment là, une expérience qui a vraiment bouleversé et changé ma vie. Je me suis sentie complètement en paix, avec la certitude que mon enfant vivait, que c’était une petite fille (ce que je ne savais pas), et qu’il n’y aurait pas de problème. J’ai ressenti une joie extraordinaire et c’était pour moi la découverte de ce que pouvait être la prière, et aussi la découverte d’une présence réelle et proche de moi qui m’a donné envie de commencer à prier et de faire un chemin spirituel.

Plus tard, vous êtes venue à Medjugorje ?

Dominique Delforge-Struyf : J’ai promis que je viendrais remercier à Medjugorje un jour, et je suis venue en 1993 pour la première fois avec ce désir de remercier, et bien sûr, aussi, avec ma curiosité de psychiatre faisant que j’étais toute oreille et que j’avais envie de voir un petit peu ce qui se passait.

Alors, j’ai fait une expérience un peu différente. C’était un 15 août, je suis allée à la Croix bleue. Le groupe de prière d’Ivan s’y trouvait et il devait y avoir une apparition le soir. Il y avait une foule immense. Je suis arrivée très tôt, je pensais que j’allais pouvoir faire une expérience de prière comme j’en avais vécue aux portes de la mort, et j’étais là avec cette attente d’être proche avec mon cœur de la Vierge et de Dieu dans la prière. Mais ça s’est passé tout à fait autrement. J’étais complètement écrasée par la foule, par des gens qui parlaient tout le temps, qui prenaient des photos de la nuit. J’étais profondément triste et j’ai eu envie de quitter Medjugorje en disant : « Qu’est-ce que c’est que ce cinéma ? Ce n’est pas possible ! » Je disais à la Vierge : « Mais enfin, ce n’est pas possible ! Si les gens qui viennent ici vivent ça, ils se sentent complètement abandonnés par toi, ils n’ont pas l’impression d’exister, ça ne va pas, cette quête de signes, de magie ! …  »

J’étais en colère et j’exprimais ma colère, et puis, j’ai pensé au Seigneur pendant sa vie, j’ai pensé aux foules qui le suivaient et à tous ces gens qui peut-être avaient cherché un regard, avaient essayé de le toucher, et avaient ressenti la même chose que moi : cette impression de ne pas exister pour Lui, qu’Il était finalement très, très loin d’eux et qu’Il n’avait rien vu, où rien montré de ce qu’Il voyait, de leur souffrance. A ce moment là, j’ai ressenti dans mon cœur avec une force énorme cette parole qui s’est imposée à moi, qui était : « Mais pourquoi est-ce que tu crois que j’ai inventé l’Eucharistie ? » Cela a été la deuxième expérience spirituelle forte dans ma vie qui m’a permis de vivre la Messe à partir de ce moment là d’une toute autre façon et dans une joie que je n’ai jamais perdue.

Quelle est l’influence de Medjugorje sur votre travail ?

Dominique Delforge-Struyf : Je ne pourrais jamais être psychothérapeute comme je le suis aujourd’hui sans la prière. Je pense que ce que Medjugorje m’a apporté par rapport à mon métier, c’est la possibilité d’écouter les gens en reliant mon intelligence et mon cœur. C’est vraiment la prière qui me permet de faire ce lien et en même temps de ne pas me laisser manger, de ne pas me laisser envahir, de ne pas tomber malade dans ce travail qui est merveilleux, mais qui est extrêmement dur. Ce que je viens encore chercher à Medjugorje quand j’ai l’occasion d’y venir, c’est ce bain de prière qui me permet chaque fois de retrouver une motivation de prier pour mes patients et de jeûner pour eux.

Quel est le regard que vous pouvez poser sur les voyants eux-mêmes et sur le phénomène des apparitions ?

Dominique Delforge-Struyf : C’est rare qu’on me pose la question à Bruxelles, parce que je parle rarement de Medjugorje dans mon métier. J’ai beaucoup de collègues qui ne sont pas croyants, mais quand on me pose la question « Est-ce que vous croyez aux apparitions ? », quand mes étudiants me parlent de ça, je leur dis que, pour moi, le problème ne se pose pas comme-ça.

Je ne m’intéressais pas du tout aux apparitions avant de venir à Medjugorje, je ne suis jamais allée à Lourdes ni même à Banneux. Pour moi la question, à partir du moment où j’ai rencontré Vicka, était d’abord : est-ce qu’elle souffre d’une maladie mentale ? Je ne l’ai pas examinée, mais j’ai quand-même passé beaucoup d’heures à l’écouter, puisque les premières fois que je suis venue, on logeait chez elle. Je l’ai vue vivre, je l’ai beaucoup écoutée et regardée, j’ai prié avec elle. Pour moi, ça me semblait évident qu’elle ne souffre pas d’une maladie mentale, comme ça, à première vue. La question qui se posait à ce moment là, c’était : est-ce que je vais lui faire confiance ? Est-ce que je vais croire que ce qu’elle me dit qu’elle vit, elle le vit vraiment ? Bon, alors, je ne vois pas pourquoi je croirais que c’est une menteuse, parce que la question se pose alors comme ça ! Non, j’ai choisi de lui faire confiance. Je ne comprends pas, parce que je ne peux pas comprendre sur un plan scientifique ce que c’est qu’une apparition, mais je crois qu’elle vit ce qu’elle dit qu’elle vit, et ça me fait plaisir de la croire !

Pourquoi Medjugorje attire tant de gens et pourquoi tant de conversions ? Comment expliquerait-on cela dans un langage qui n’est pas religieux ?

Dominique Delforge-Struyf : Je n’ai pas eu beaucoup de patients qui m’ont parlé de Medjugorje. Ce que je peux dire, c’est à partir de ce que j’entends ici dans des groupes de pèlerins, à partir de ce que mes enfants m’ont dit de ce qu’ils avaient vécu. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui attirent.

Ce qui est particulier ici, et qu’on n’a plus dans nos pays, c’est qu’il y a beaucoup de jeunes qui prient et qui n’ont pas honte de prier. Ils ne se cachent pas. On est vraiment dans ce bain de prière par lequel on est porté, et on est entraîné par cette foule immense qui témoigne de sa joie et de sa foi.

Ce qui me touche beaucoup et qui en même temps parfois m’a agacée, c’est de voir tous ces gens qui redeviennent un peu comme des enfants, qui n’ont pas peur de s’agenouiller en public, d’aller toucher le genou du Christ, d’aller déposer des intentions en haut du Krizevac… Je suis extrêmement touchée par cette foule immense qui va déposer toute sa douleur et toutes ses misères au pied de la croix et au pied de la Vierge. Je trouve ça très beau et ça me touche profondément.

Au niveau psychologique, je pense, ce qui est à la fois beau et dangereux, c’est que on rencontre à Medjugorje une série de témoins, dont les voyants, mais aussi des gens qui ont fait des expériences très fortes, et ces témoins peuvent nous toucher le cœur et nous donner envie d’aller plus loin dans cette recherche de Dieu, mais ils peuvent aussi, à un certain moment, pour des raisons purement psychologiques, faire barrière dans un chemin de foi. J’ai rencontré des gens qui ont été irrités par tel ou tel témoignage, à cause de leur histoire personnelle. A ce moment là, on voit parfois des portes se fermer ou des gens rentrer en disant : « Oui, mais je ne crois pas à tous ces signes, c’est artificiel. » On peut vivre les deux choses. Je pense que ce qui est riche, c’est qu’il y a beaucoup de témoins différents à Medjugorje, et donc, il y a beaucoup de chance qu’on rencontre quelqu’un qui peut un peu jouer ce rôle de passeur, ouvrir une porte pour aller un peu plus loi dans un chemin de foi et pour travailler nos représentations de Dieu et de la foi.

Finalement, au travers du témoignage que j’ai fait, vous pouvez aussi sentir qu’un chemin de foi est un chemin où on doit sans cesse lâcher prise et transformer nos idées sur Dieu, transformer nos idées sur la Vierge, transformer les images auxquelles nous nous accrochons, parce que ces images ont leur utilité à un moment donné, mais qu’il faut pouvoir les lâcher pour vivre des choses nouvelles. Je pense que cette recherche d’ouvrir des portes a pour enjeu de chaque fois retrouver une relation vivante avec Dieu. Une relation vivante est une relation dans laquelle nos représentations se transforment sans cesse. Quand une représentation de quelqu’un se fige, en disant : « Oui, celui-là est comme ça ou comme ci », la relation s’appauvrit, tandis qu’une relation vivante, c’est une relation où nos images de l’autre sont sans cesse renouvelées, on est sans cesse étonné, on découvre chaque fois quelque chose de nouveau. Je pense que Medjugorje est peut-être l’occasion justement de faire tomber les images figées et de les transformer.

Y a-t-il des pièges ?

Dominique Delforge-Struyf : Je pense que le piège, c’est la recherche du Dieu magique, des signes magiques, du merveilleux, le désir de voir des apparitions, de voir quelque chose d’extraordinaire. C’est le piège, c’est le Dieu du petit enfant qui croit aux fées, aux sorcières. En même temps, il y a quelque chose de très touchant, parce certaines personnes ont des signes - et j’ai eu des signes très forts qui ne sont pas des signes magiques mais des signes intérieurs. Je pense que ce qui est très dangereux, c’est pour ceux qui n’en ont pas justement, et qui sont dans cette quête là, et qui s’en vont déçus parce qu’ils n’ont rien vu, et qu’ils n’ont pas eu ce genre de signes. Alors, le danger c’est que, si on s’accroche à cette image d’un Dieu qui donne des signes magiques, c’est que la foi tombe si on ne les trouve pas.

Est-ce que vous avez connu le Père Slavko ?

Dominique Delforge-Struyf : Lui ne me connaissait pas personnellement, mais j’ai eu l’occasion de l’écouter plusieurs fois et de lui poser des questions. C’est quelqu’un qui m’a appris beaucoup de choses, notamment sur le jeûne.

Y aurait-il peut-être quelque chose à dire du rôle de la foi dans votre travail de psychothérapeute ?

Dominique Delforge-Struyf : Comme psychothérapeute, je n’aborde jamais des questions spirituelles, la question de Dieu. Ce sont les gens qui m’en parlent. Je ne suis pas du tout guide spirituel, je reste strictement dans mon métier avec les références que j’ai apprises, mais ce que j’ai remarqué, c’est que depuis que j’ai fait personnellement un chemin spirituel, les gens me parlent beaucoup plus facilement de ce qu’ils vivent sur le plan spirituel.

Comme psychothérapeute, on ne peut aider les gens que par rapport aux questions et aux problèmes qu’on a travaillés aussi pour soi-même. Ca fait partie de la formation d’un psychothérapeute de faire un travail lui-même. Pour moi, tout ce chemin spirituel, et ce chemin que j’ai fait aussi avec un père spirituel, a été quelque chose qui, je pense, m’aide beaucoup aussi comme psychothérapeute, à pouvoir écouter les gens lorsqu’ils ont envie de parler de ce qu’ils vivent comme difficulté par rapport à leurs représentations de Dieu, par rapport à la prière, par rapport à une foi qu’ils ont perdue. Enormément de gens ont perdu la foi, même s’ils ont une éducation chrétienne. Je n’essaye pas de les reconvertir, mais au travers de mon expérience, j’arrive à les aider à cheminer, à dénouer, à ce qu’ils puissent se rendre compte que leurs convictions religieuses sont étroitement liées à ce qu’ils vivent sur le plan psychologique, et que - s’ils font ce chemin vers un apaisement, une réconciliation avec eux-mêmes - il y a quelque chose qui se transforme aussi au niveau spirituel. Je suis souvent témoin de transformations et de choses qui sont très belles dans ce cheminement possible.

Il y a aussi des gens qui ne trouvent pas Dieu, mais qui retrouvent foi en la vie, qui retrouvent des liens très forts avec d’autres personnes, et je pense que c’est aussi ça la présence de Dieu dans leur vie, même s’ils ne Le nomment pas.

Donc, la foi est un élément guérisseur ?

Dominique Delforge-Struyf : Ma foi est un élément qui me permet d’écouter des personnes, des enfants, des adolescents, des familles en difficulté, aussi par rapport à leur foi et à leur non-foi. La foi, c’est la confiance : c’est la confiance en Dieu, c’est la confiance dans les autres, c’est la confiance en soi. On ne peut pas avoir des relations positives avec les autres si on ne croit pas en eux.

Comment voyez-vous le travail des franciscains ici ?

Dominique Delforge-Struyf : Ce qui est extraordinaire à Medjugorje, c’est qu’on ne s’ennuie jamais dans la prière, et c’est quelque chose qui est très difficile à vivre à Bruxelles. Ici, on peut prier pendant des heures, on n’en a jamais assez, on est vraiment pris dans ce bercement, cette paix, cette présence, et c’est quelque chose de beau. Je pense que c’est lié aussi, bien sûr, à ceux qui animent les célébrations et qui nous invitent à la prière. Il y a quelque chose qui aide à descendre de plus en plus profond dans son cœur et à trouver cette paix, cette sérénité, cette joie… J’ai vécu cela à Taizé aussi. Il y a quelque chose de l’ordre de l’apaisement. On est à la fois porté par les autres et invité à lâcher l’intelligence et à la faire descendre au fond de nous-mêmes.

Un mot de conclusion ?

Dominique Delforge-Struyf : Merci ! Merci à tous ceux qui font ce travail à Medjugorje d’accueillir des pèlerins, parce que cela doit être un travail où on se fait manger beaucoup, et en même temps c’est un travail merveilleux où il y a encore beaucoup à faire, je crois, pour unir ce côté psychologique et ce côté spirituel ; mais je sens qu’il y a un terrain favorable pour aider les gens à cheminer.

 

Afin que Dieu puisse vivre dans vos cœurs vous devez aimer.

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